Voilà le mot qu’utilisait mon oncle pour parler de quelqu’un qui se comportait de manière curieuse.

J’associe depuis enfant cette dénomination à des personnages de Tex Avery et plus précisément aux habitants de la lune dans l’épisode «  The cat that hated people ». Pour moi, ça c’était des zigotos

Les évènements ont fait que ces derniers temps ma famille et moi avons dû nous occuper de mon oncle Jean-Marie / le Monsieur Cinéma. Ses choix de vie nous ont poussés à entrer dans la sienne, celle d’un accumulateur compulsif (appelé aussi syndrome de Diogène). Son obsession était principalement d’amasser du savoir mais aussi et surtout des journaux et des livres. Et d’autres trucs.

Bien évidemment la question du « Pourquoi ? » lui a été posée.
Sa réponse à toujours été : «  ça me rassure, voilà tout ».

– Laisse tomber –

Rentrer au cœur de sa maison donnait l’impression d’être dans une boule à neige qui avait été secouée il y a 40 ans, et dont les milliers de flocons de papiers s’étaient déposés sur le sol, les meubles, les lits, les marches des escaliers… un manteau de journaux. La moindre secousse entraînait une cascade de feuilles, le moindre pas dans ce paysage de papier laissait une empreinte de poussière vide.


Bien évidemment tout devait et allait être vidé, mais éteindre la lumière comme ça sur une vie entière, quelle qu’en soit sa forme, m’était impossible. Cette « œuvre » gargantuesque ne pouvait pas disparaître en un claquement de doigts (et surtout pas sans l’aide d’une entreprise de nettoyage spécialisée). Dans le fond, j’avais peur de lâcher la relation que nous avions installée au fil des années à échanger sur des films, des photographes, à partager des repas ensemble… j’avais encore besoin d’une aventure avec lui.

Alors j’ai commencé à faire des photos…
Je l’ai fait, en culpabilisant de percer son intimité et parfois en m’amusant de ses montagnes d’accumulations diverses.

J’ai pris des photos de tout, des piles de journaux, de boîtes, de livres, des traces laissées sur les murs, sur les touches du téléphone, des chambres ensevelies par les affiches etc… Jean-Marie faisait partie de cette aventure, alors je l’ai pris en photo à l’hôpital, dans son lit, continuant quoi qu’il arrive à lire, à accumuler du savoir, à s’intéresser aux films en salles, à discuter de l’actualité, pouvant parfois même se libérer de son état, grâce à sa curiosité.


Aujourd’hui la maison a été vidée en grande partie. Les journaux et prospectus ont été évacués. On respire enfin et la majeure partie de ses livres de cinéma ont été conservés.

Il y a quelques jours, je suis retourné dans sa maison pour “y voir plus clair”.
J’ai attrapé sur une de ses étagères un livre sur la filmographie de Billy Wilder. En l’ouvrant, j’ai découvert que les pages du livre étaient constellées d’articles de journaux découpés, chacun reliant de près ou de loin à l’œuvre de Billy Wilder. Parfois même une information minuscule était mise en valeur. Bref, tout ce qui permettrait à quiconque d’accéder au mieux au réalisateur, de le situer dans son époque et de mieux comprendre son œuvre. Une sorte de memento culturel tirant de nouvelles lignes vers de plus larges panoramas.


La discussion n’est pas terminée, les sujets et les indices sont partout dans ses bouquins. Je ne suis pas encore tout seul, j’ai encore de quoi discuter avec mon oncle. Cette aventure continue encore un peu avec lui, et va encore alimenter mon travail. Et puis, quand je serai perdu et que je ne saurai plus vers où regarder, je n’aurai qu’à rouvrir à nouveau un de ses livres.

Ce Zigoto a forcément dû cacher des indices entre les pages d’un ouvrage qui me permettront de retrouver mon chemin.